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Balzac,
Jean-Louis Barrault, Picasso
Un lieu mythique pour le C.N.E.A.
: le Grenier des Grands Augustins
BALZAC
y situe l'action de son " Chef d'uvre inconnu
", nouvelle fantastique mettant en scène
le jeune Nicolas POUSSIN
et les peintres PORBUS
et FRENHOFER
Vers
la fin de l'année 1612, par une froide matinée
de décembre, un jeune homme dont le vêtement
était de très mince apparence, se promenait
devant la porte d'une maison située rue des Grands
Augustins, à Paris. Après avoir assez
longtemps marché dans cette rue avec l'irrésolution
d'un amant qui n'ose se présenter chez sa première
maîtresse, quelque facile qu'elle soit, il finit
par franchir le seuil de cette porte, et demanda si
Maître François PORBUS
était en son logis.
Sur la réponse affirmative que lui fit une vieille
femme occupée à balayer une salle basse,
le jeune homme monta lentement les degrés, et
s'arrêta de marche en marche, comme quelque courtisan
de fraîche date, inquiet de l'accueil que le roi
va lui faire. Quand il parvint en haut de la vis, il
demeura pendant un moment sur le palier, incertain s'il
prendrait le heurtoir grotesque qui ornait la porte
de l'atelier où travaillait sans doute le peintre
de Henri IV délaissé pour Rubens par Marie
de Médicis. Le jeune homme éprouvait cette
sensation profonde qui a dû faire vibrer le cur
des grands artistes quand, au fort de la jeunesse et
de leur amour pour l'art, ils ont abordé un homme
de génie ou quelque chef-d'uvre.
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Jean-Louis
BARRAULT y installe sa compagnie en 1932.
Claudel,
Jean Artaud, Aragon, Georges Bataille, André
Masson, Claude Dauphin, Giraudoux, Cocteau, Jules Romains,
Armand Salacrou, François Mauriac, Henri Mondor,
Jacques Prévert, Marcel Carné, Robert
Desnos, Jean-Paul Sartre et, bien sûr Madeleine
Renaud
Tous
se retrouvaient régulièrement au "
Grenier des Grands Augustins", résidence
de Jean-Louis Barrault entre 1933 et 1936. " Au
Grenier, la porte n'était jamais fermée,
venait y habiter qui voulait "
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Le
Grenier des grands Augustins
Laissons
le grand acteur évoquer ces "trois années
de lumière" dans ses Souvenirs pour Demain
(1972 - Editions du Seuil)

J'avais
trouvé un lieu merveilleux, rue des Grands Augustins,
au 7 ou au 11, en tout cas deux bons chiffres. Vieil
immeuble du XVIème siècle qui, le soir,
était complètement vide. On y accédait
par quelques marches au fond d'une cour bosselée
de vieux pavés. A ce rez-de-chaussée surélevé
siégeait le Syndicat des huissiers. Au-dessus,
il y avait une industrie de tissage avec de vieux métiers
très beaux. J'avais loué le dernier étage.
Trois pièces bizarres avec de magnifiques poutres
apparentes.
La
première avait quatorze mètres sur huit.
J'en fis mon atelier de travail et nous y donnâmes
des représentations. (Il devait devenir, plus
tard, l'atelier de Picasso). La deuxième pièce,
de quinze mètres sur quatre, devint à
la fois dortoir, salle à manger, toilettes, fourre-tout
: la salle commune. Je revois une étiquette "
Le lavabo doit rester bo. " La troisième,
de huit mètres sur quatre, je me la réservai
pour moi. Mais souvent, quand je rentrais tard dans
la nuit, je trouvais des gens dans mon lit.
Je
fondai une compagnie : le Grenier des Augustins. Jean
Dasté, au début, s'y était associé,
il reprit vite sa liberté ; il eut raison car
j'étais loin d'être mûr. Il me fallait
encore beaucoup vivre.
J'étais
très neuf alors, très primitif, je n'avais
pas assez de connaissances spéciales pour devenir
un intellectuel ; beaucoup de choses devaient me passer
au-dessus de la tête. D'ailleurs, on ne me demandait
pas de comprendre. J'étais conquis, c'était
suffisant. Au reste, tout cela n'était pas tellement
clair. A la papauté de Breton, au schisme communiste
d'Aragon, à la dispersion des individualistes,
on pouvait ajouter une quatrième veine ; celle
qui venait du mouvement Dada : Tristan Tzara, Dr Fraenkel,
etc. Tout le monde se mélangeait. Breton et Georges
Bataille me demandèrent l'hospitalité
au Grenier pour tenir leurs assemblées. C'est
ainsi que, le 21 janvier 1936 eut lieu une grave cérémonie
pleine l'humour à propos de la décollation
de Louis XVI. L'humour. C'est du sérieux qui
ne se prend pas au sérieux pour ne pas devenir
trop sérieux.
Au
Grenier, la porte n'était jamais fermée,
venait y habiter qui voulait. J'en laissais à
mes camarades. Nous avions installé des lits
dans tous les coins. Une république idéale.
Une fois par semaine, nous organisions un pique-nique.
Chacun apportait ce qu'il voulait. Les filles de notre
groupe confectionnaient un plat. Je revois une énorme
bassine remplie de calamars. L'imagination des convives
n'était pas toujours éveillée et
il nous arrivait parfois quarante camemberts que nous
nous efforcions d'épuiser durant le reste de
la semaine.
Joseph
Kosma, compositeur tzigane, nous écrivait de
merveilleuses chansons sur des poèmes de Prévert.
Nous cherchions un enfant. Itkine m'en indique un qui
traîne dans un quartier populaire de Paris, il
doit avoir dans les huit ans, ne craint que deux espèces
d'animaux : les flics et les chiens. Ce petit s'appelait
Mouloudji. II trouve son lit au Grenier. Le premier
soir, il venait de se coucher mais nous l'entendions
remuer.
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L'Atelier
de Picasso (1936-1955)
En
1929, Pablo Picasso, qui voue une passion au "Chef
d'uvre Inconnu", illustre la nouvelle de
BALZAC en l'ornant de onze eaux fortes. Sept ans après,
il s'installe au Grenier des Grands Augustins où
il crée notamment Guernica.
Dans
son magnifique livre Conversations avec Picasso, paru
chez Gallimard, BRASSAÏ, cet immense photographe
qualifié " d'il vivant" par Henry
Miller décrit la nouvelle résidence de
PICASSO
Dans
ce très vieux coin de Paris, la rue porte le
nom d'un ancien couvent rasé en 1791 et dont
les terres s'étendaient jusqu'aux rue de Nevers,
rue Guénégaud et rue Christine où
habita Gertrude Stein et demeure encore Alice Toklas.
Le petit hôtel particulier, à l'angle de
la rue et du quai des Grands Augustins, occupé
par le restaurant Lapérouse, est du XVème
siècle. Je connaissais déjà la
demeure patricienne du XVII ème siècle
du n° 7 et les deux étages supérieurs
devenus l'atelier de Picasso. Avant lui, Jean-Louis
Barrault y répétait des pièces
de théâtre ; et j'avais assisté
parfois dans le "grenier Barrault" à
ces séances. C'est d'ailleurs l'acteur qui avait
signalé à Picasso ces curieux locaux disponibles,
et celui-ci fut aussitôt séduit. En plus
vaste, ils lui rappelaient le Bateau-Lavoir, dont secrètement
il garda toute sa vie la nostalgie. Il pouvait y avoir
l'impression d'être à l'intérieur
d'un navire avec ses passerelles, ses soutes, sa cale.
Une autre séduction de cette maison : Balzac
y avait situé son Chef-d'uvre inconnu.
C'est dans cette demeure l'hôtel de Savoie-Carignan
avant la Révolution qu'il faisait rencontrer
le maître Frenhofer avec François Porbus
et Nicolas Poussin; c'est là que le héros
de son roman s'éloignant, dans sa soif d'absolu,
de plus en plus de la représentation de la nature,
créa et détruisit son chef-d'uvre
et mourut... La description que Balzac donne de cette
maison, de l'escalier raide et sombre, est d'ailleurs
d'une ressemblance assez frappante. Ému et stimulé
à l'idée de prendre la place de l'illustre
ombre de Frenhofer, Picasso loua aussitôt l'atelier.
C'était en 1937. Et sur le lieu du Chef-d'uvre
inconnu il allait peindre le " chef-d'uvre
bien connu " : Guernica.
La
lumière est merveilleuse aujourd'hui, elle fait
vibrer les toits, les cheminées, les pans de
mur que Picasso, a toujours sous les yeux.
Le
Grenier des Grands Augustins appartient à La
Chambre des Huissiers de Justice de Paris qui a accepté
de mettre gracieusement ce lieu à la disposition
du C.N.E.A.
La
totalité des travaux de rénovation a été
réalisée grâce au mécénat.
Que soient tout particulièrement remerciés
:
La
Chambre des Huissiers de Justice de Paris, Marc-Alpinien
Lachan, Setha, Carlos Sarréa, DPS, le groupe
IGS, le Groupe Sup de Co
Amiens, Rexel, Legrand, le cabinet d'architecture Bernard
Poète, Bouygues SA, Célimage, Christophe
Cauchetier, Lefranc & Bourgeois, le Syndicat des
Fabricants de Couleurs Fines, la Samaritaine, les pianos
Steingraeber, Arts Films Productions, Suzanne Dorlhac-Juteau,
RLP, New-Tone, I.M.P. Graphic, Frega Grandes Cuisines,
l'Agence CNG
Design Paris, Snef, Rinol France, W Associé.
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